18
Les droits et les devoirs

Lolya trempa une dernière fois sa plume dans l’encre noire et mit un point final au document.

— Bon ! lança-t-elle, satisfaite. Je crois que tout est là !

— Tant mieux, grogna Béorf, parce que je commence à être fatigué ! Nous sommes là depuis des heures à discuter et, en plus, il n’y a plus rien à manger. C’est difficile de réfléchir le ventre vide !

— Tais-toi donc un peu, intervint Médousa. Nous sommes sur le point d’aboutir !

— Lolya, tu veux bien nous relire le document ? demanda Amos.

— Oui, avec plaisir. Notre document se divise en deux parties. La première concerne les droits des habitants de la cité, et la seconde s’adresse au gouvernement.

 

Droits des habitants de la cité de Pégase.

1) Tous les habitants de la cité de Pégase sont à leur naissance des êtres libres et égaux.

2) Tous les habitants de la cité de Pégase, même s’ils sont des sans-ailes, ont les mêmes droits et les mêmes libertés que les icariens de souche.

3) Il n’y aura, dans la cité de Pégase, aucune distinction fondée sur la race, la couleur ; la physionomie ou les croyances d’un ou de plusieurs de ses habitants.

4) Tout résidant de la cité de Pégase a droit à la liberté et à la sûreté de sa personne.

5) L’esclavage et la torture sont formellement interdits sur le territoire de la cité de Pégase.

6) Aucun habitant de la cité de Pégase ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé.

7) Un habitant de la cité de Pégase est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès juste.

 

Devoirs du gouvernement de la cité de Pégase.

1) Il y aura, dans la cité de Pégase, des élections libres et équitables qui devront être fixées dans le temps.

2) Le gouvernement de la cité de Pégase devra gouverner de façon à ce que les droits des citoyens soient respectés.

3) Le gouvernement de la cité de Pégase devra mettre en fonction un système de justice impartial et égal.

4) Le gouvernement de la cité de Pégase devra travailler pour le bien de ses citoyens sans jamais faire passer ses propres intérêts avant ceux des habitants qu’il représente.

5) Le gouvernement de la cité de Pégase devra fournir à tous ses citoyens les moyens de s’éduquer et de travailler afin de faciliter l’épanouissement de tous.

 

Les quatre compagnons se regardèrent avec fierté. Ils venaient de créer un document capable de changer l’histoire de la cité. La charte des droits et des devoirs était, de toute évidence, encore incomplète, car elle ne couvrait pas tous les aspects de la vie des icariens, mais c’était déjà un bon début. Dans ces quelques lignes, il y avait des idées capables de faire leur chemin et de créer, peut-être un jour, des sociétés plus justes sur tout le continent.

— Moi, intervint Béorf, j’ajouterais que tous les habitants de la cité de Pégase doivent manger à leur faim ! D’ailleurs, c’est un nouveau point que nous pourrions expérimenter tout de suite…

— Pour une fois, je suis tout à fait d’accord avec Béorf ! répliqua Amos en rigolant. Bon… il doit être tard…

— Oui, assez, le soleil se couchera bientôt, déclara Lolya en regardant par la fenêtre. Je vote aussi pour la proposition de Béorf, allons manger !

— Va pour la proposition ! lança Médousa.

— Très bien, je m’en occupe ! affirma Amos en bondissant de sa chaise. Il faudrait aussi penser à Flag dans la flagolfière ! Je vais d’abord le chercher…

Dès qu’il eut franchi la porte, Amos fut intercepté par l’oracle des oracles qui lui tendit une lettre.

— De la part de la reine, lui dit-il en présentant le pli.

— Merci bien, répondit Amos. Justement…, si vous avez du temps, la déesse aimerait vous parler un peu plus tard…

— Ce sera avec plaisir. Elle me donnera sûrement ses recommandations pour la cité…

— Oui, il s’agit précisément de cela…

— Très bien, je m’y attendais… Merci et au revoir.

— Au revoir, fit Amos en ouvrant la lettre.

 

Cher Amos,

 

J’aimerais vous convier, tes amis et toi, à dîner en ma compagnie ce soir. Je propose que nous nous retrouvions dans le pavillon de repos, tout près des grandes urnes funéraires. Vous n’aurez qu’à emprunter la grande porte du temple, elle vous mènera directement au lieu du rendez-vous. Je vous y attendrai au coucher du soleil.

Il me ferait grand plaisir de mieux connaître tes amis.

Je suis certaine que nous pourrions très bien nous entendre.

 

Aélig.

 

« Bon…, pensa Amos en retournant dans la salle où étaient rassemblés ses amis, je ne vois pas pourquoi nous refuserions cette invitation… »

Le garçon rouvrit la porte.

— Aélig nous invite à dîner. Est-ce que ça vous va ?

— J’ai tellement faim que j’accepterais même une invitation de Baya Gaya ! lança Béorf en se frottant le ventre.

— D’accord, dit Médousa sans grand enthousiasme. Nous apprendrons peut-être à mieux la connaître…

— Oui…, fit Lolya qui, pour elle-même, ajouta : « C’est toujours bon de connaître ses rivales… »

— On se donne donc rendez-vous au pavillon de repos, poursuivit Amos. Vous devez passer par la grande porte du temple et, après, c’est tout droit ! Je vais chercher Flag et je vous y rejoins !

Le porteur de masques quitta le temple et se dirigea vers la flagolfière. Les dégâts provoqués par sa tempête étaient encore bien visibles et des équipes d’icariens travaillaient toujours à nettoyer les lieux. Heureusement, la Ville pourpre était encore debout et la majorité des bâtiments n’avaient pas été touchés.

Le garçon trouva le lurican en pleine sieste, dans la nacelle ; il ronflait comme un vrai béorite.

— Désolé de te réveiller, Flag, dit Amos en le secouant un peu. Nous sommes invités à manger. Veux-tu nous accompagner ?

— Hein ? Manger ! ? fit le lurican, tout endormi. Oh oui ! C’est la meilleurrre idée de la jourrrnée, ça ! Ne faisons pas attendrrre nos estomacs plus longtemps !

Flag s’étira, puis bondit hors de la nacelle pour suivre Amos.

— Et les réparations ? lui demanda Amos sur le chemin du pavillon de repos.

— Tout va pourrr le mieux ! se réjouit le lurican. La flagolfièrrre est comme neuve et nous avons encore beaucoup d’huile de roche !

— Je suis content de l’apprendre, j’espère que le…

— Arrrête-toi ! l’interrompit soudainement Flag. Mais qu’est-ce que cet arrrcher fait, là-haut, dans l’arrrbrrre ?

Amos leva la tête et aperçut un icarien de dos, au sommet de l’arbre, qui semblait sur le point de tirer. D’après son angle de tir, la cible paraissait être placée devant le Temple interdit.

Précipitant le pas, le porteur de masques aperçut tout à coup ses amis qui sortaient par la grande porte. Tout s’éclaira alors dans son esprit ! Lorsqu’elle était venue voir la gorgone, Aélig lui avait confié qu’elle avait un plan dont, justement, il ignorait tout. Maintenant, tout se mettait en place : l’invitation à diner, la porte du temple, le tireur embusqué, tout cela faisait partie de son fameux plan pour… tuer Médousa !

— BÉORF, MÉDOUSA, LOLYA ! hurla-t-il. FUYEZ ! FUYEZ VITE !

Mais son appel ne fut pas entendu.

À l’instant même, au sommet de la tour funéraire, Aélig laissa tomber son foulard et les icariens décochèrent chacun leur flèche.

En utilisant ses pouvoirs sur l’air, Amos ordonna au vent de faire dévier les projectiles.

Les deux flèches, provenant de chaque côté de la grande porte du temple, s’engouffrèrent dans une rafale si forte qu’elles furent projetées en direction de la tour funéraire. Elles terminèrent malheureusement leur course dans le corps d’Aélig qui passa par-dessus la balustrade et fit un plongeon de trois étages dans le vide. Sa chute lui arracha un cri horrible qui attira le regard de tous.

Témoin de ce spectacle macabre, Amos fléchit les genoux et s’écroula la face contre terre. Des voix, comme celles qu’il avait entendues dans la cité infernale, recommencèrent à lui chuchoter des horreurs. Une grande confusion embrouilla son esprit et le replongea dans la torpeur de son voyage aux Enfers. Son visage se figea aussitôt dans une expression de douleur intense, et son corps se raidit comme une barre de fer. L’oracle Delfès avait eu raison en prédisant qu’il tuerait Aélig !

Flag appela aussitôt à l’aide.

Béorf, encore secoué par la rafale, se précipita quand même vers Flag, tandis que Médousa et Lolya couraient vers Aélig.

Lolya se pencha sur le visage ensanglanté de l’icarienne. Les ailes cassées et le corps meurtri, Aélig n’allait visiblement pas survivre à ses blessures.

— Je vais vite aller chercher mes herbes dans la flagolfière, dit Lolya, j’ai quelque chose qui pourra atténuer sa douleur…

— Non… non, dit Aélig avec difficulté. J’ai senti… dans tes réactions lors de ma visite à la déesse… tout l’amour que tu éprouves pour Amos. Je… je voulais vraiment que… qu’entre lui et moi, les choses… se déroulent autrement. Tout est ma… ma faute. Il aura été mon… mon grand amour et… et je m’estime chanceuse d’avoir connu un si… un si noble sentiment. Je te le laisse… Je sais qu’il est entre bonnes mains avec toi… il sera heureux… voilà ce qui m’importe vraiment…

La jeune nécromancienne acquiesça en silence.

— Maintenant, continua Aélig en se tournant vers Médousa, j’aimerais… déesse… que mon peuple ne m’oublie pas. Je veux que mon corps reste ici… à jamais… pour que l’on se rappelle encore… de ma lignée. Transformez-moi en… en statue de pierre…

— Mais non ! lança Médousa, ébranlée par la requête. Je ne peux pas, comme ça…

— S’il vous plaît… insista Aélig. C’est tout ce que… ce que je demande… Je veux être à jamais… parmi les miens. S’il vous plaît, relevez-moi…

Avec l’aide de quelques icariens, Lolya aida Aélig à se relever. La jeune reine bomba le torse afin de prendre une position plus digne et essaya de cacher la douleur que lui causaient les flèches et ses ailes brisées.

— Vous êtes certaine de… de… vouloir être pétrifiée ? demanda Médousa, hésitante.

— Allez-y… Je… je… Faites vite… Mes forces… m’abandonnent…

— Alors, regardez-moi dans les yeux, reprit Médousa en retirant ses lurinettes.

Dès que son regard eut rencontré celui de la gorgone, Aélig sentit sa peau se raidir et son corps se figer. En moins d’une seconde, elle fut transformée en statue de pierre. Tout se passait comme l’avait prédit l’oracle Delfès : « Elle sera la dernière reine de la cité de Pégase et régnera à jamais dans la Ville pourpre. » Dans le cœur d’Aélig, s’était aussi pétrifié le souvenir de son grand amour, et ce, jusqu’à la fin des temps.

Béorf surgit alors, complètement paniqué.

— Ça ne va pas du tout, Lolya ! Vite, il faut que tu viennes avec moi !

La nécromancienne et la gorgone abandonnèrent la statue d’Aélig et, guidées par Béorf, coururent à toutes jambes vers Amos.

Elles trouvèrent le porteur de masques en piteux état. Raide comme une barre de fer, il respirait à peine. Les yeux fixes, les paupières bien ouvertes, le garçon semblait complètement hors de la réalité.

— Que s’est-il passé ? demanda Lolya au lurican. Béorf ! va vite chercher mes herbes dans la flagolfière !

— Je ne sais pas, répondit Flag. Nous devions aller casser la crrrroûte, puis je lui ai fait remarrrquer un de ces étrrranges hommes ailés qui était posté dans l’arrrbrrre. Il a fait quelques pas et il est devenu blanc comme un drrrap. Ensuite, un forrrt vent nous a secoués, j’ai entendu le crrri de la jeune fille, puis il est tombé là, rrraide comme une barrre de ferrr.
Oh non ! Sais-tu ce qu’il a, toi ? demanda Médousa à Lolya.

— Je pense qu’Amos nous a sauvés la vie et que les flèches qui nous étaient destinées sont celles qui ont tué Aélig.

— Tu veux dire qu’il les aurait fait dévier vers elle ?

Sans le faire exprès, répondit la jeune Noire. Amenons-le vite à l’intérieur du temple que je voie ce que je peux faire pour lui.

 

La Cité de Pegase
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